dimanche 28 mars 2010

Portrait d'une maîtresse E.

Cécile Bigorne, présidente de notre association, a eu la gentillesse de bien vouloir répondre à ces petites questions sur son parcours professionnel et sur sa vision du métier d'enseignante spécialisée.

Tu étais orthophoniste avant d’être maitresse E (ou maitre E, comme tu préfères). Qu’est-ce qui t’a donné envie de changer de métier ?

Je crois bien que c’est une admiration sans faille de mon maître de CM1 CM2 qui m’a poussée à tenter le concours de PE, alors que j’étais orthophoniste depuis 8 ans ! Par ailleurs, je me rendais peu à peu compte, par les contacts que je pouvais nouer avec les enseignants, autour de la difficulté d’un enfant que je suivais, de l’écart important entre la rééducation orthophonique et les attentes scolaires… pour être tout à fait honnête, je ne pensais même pas en devenant prof des écoles revenir aussi vite dans le « spécialisé » ! J’ai adoré « faire classe » ! … avec cette frustration exceptionnelle de ne pouvoir apporter à chacun et surtout aux élèves les plus en difficulté ce petit plus pour les aider à gravir à leur rythme les marches des apprentissages. Je virevoltais comme un papillon de l’un à l’autre et perdais parfois de vue le groupe-classe, les programmes, les programmations… pour m’attacher à celui là : et comment lui faire grimper cette marche avant de continuer le chemin ? Le train ne pouvait partir sans lui ! Alors j’ai vite pris conscience qu’il fallait que je revoie ma copie pour accomplir ce qui finalement me tenait le plus à cœur : faire avancer les plus fragiles et les accompagner pas à pas dans la construction de leurs apprentissages. C’est ainsi que j’ai décidé de faire fonction un an sur poste E : aider les élèves les plus en difficulté dans le cadre de l’école et de ses attentes, et Banco ! c’était bien ça, ma voie !

Qu’est-ce que t’apportent ta formation et ton expérience d’orthophoniste dans ta pratique de maître E ?

C’est difficile de répondre à cette question ! La formation d’ortho m’a évidemment apporté beaucoup dans les domaines de la langue orale et écrite, mais aussi sur le champ du handicap, et j’ai appris aussi tellement dans ma fonction de maîtresse E… ! Mais ce qui reste le plus prégnant, je crois, c’est l’importance capitale pour moi de la prévention en maternelle dans le champ du langage oral. Comprendre, et construire son langage, c’est l’essentiel incontournable pour entrer dans l’écrit. Malheureusement, le temps me manque souvent pour engager un vrai travail dans ce domaine dès la moyenne section… et les priorités de la nouvelle circulaire et les besoins impérieux de prises en charge au cycle 2 ne vont pas dans le sens d’une prise en compte en amont de la difficulté scolaire…

Comment tu différencierais ces deux métiers ?

L’orthophonie est un métier pluriel, qui s’adresse à des enfants présentant une multitude de difficultés voire de handicaps, alors, les différences avec le métier d’enseignant spécialisé à dominante pédagogique sont elles aussi multiples. Mais si on se réduit à la pratique de l’orthophoniste en libéral, je résumerai en disant que l’ortho est dans le champ du soin et de la rééducation de troubles, alors que le maître E, est dans le champ scolaire et des difficultés d’apprentissages. Un même enfant peut bénéficier de ces deux suivis : ils sont tout à fait complémentaires.

Penses-tu qu’il y ait un recours trop important à la rééducation orthophonique en ce qui concerne les difficultés à apprendre à lire ?

Permets - moi de répondre par une pirouette : que ferait l’Ecole de la difficulté à apprendre à lire si elle ne pouvait solliciter le suivi orthophonique que pour les élèves présentant un trouble spécifique du langage écrit ?? Serait-on suffisamment de maîtres spécialisés en réseau pour y répondre ??

Quels sont tes axes de travail prioritaires ?

La compréhension orale, lecture et stratégies de lecture, production écrite. Et que du cycle 2, à mon grand désarroi….

Quelles sont tes sources de satisfaction quand tu es avec les élèves ou avec les collègues ?

Indéniablement : le sourire et le bien être des élèves qui se sentent enfin capables de faire et d’apprendre. Un vrai bonheur de tous les jours ! Pour les collègues de classes : les voir se poser les bonnes questions quant aux difficultés de tel ou tel enfant et voir changer leur regard. Pour les collègues de Réseau : une vraie complémentarité et un échange toujours riche et constructif autour de la difficulté d’un enfant, un regard pluriel indispensable.

Et de frustration ou de déception ?

Cash ? Quand j’ai l’impression d’être la seule –avec mes collègues de réseau- à voir les capacités d’un enfant à surmonter ses difficultés même s’il reste loin des attentes des programmes et des compétences attendues en fin d’année… avec à la clé une orientation alors qu’il avait toute sa place dans le cursus ordinaire avec une pédagogie adaptée.

Tu es engagée dans la défense de notre métier. D’où vient ta détermination ? As-tu parfois des doutes ?

Je crois en la capacité de chacun de nos enfants et de nos élèves à apprendre, et c’est à nous, enseignants, de tout faire pour cela. C’est l’école qui doit s’adapter, pas l’enfant. Mon métier est, je crois, cette passerelle pour permettre à l’école d’accueillir cet enfant dans sa diversité. Je n’ai jamais douté de cette absolue nécessité. Le seul doute que je puisse avoir, c’est : notre hiérarchie, en détruisant par centaines des postes de maîtres E, veut-elle vraiment l’école et l’égalité des chances pour tous ?

Que réponds-tu à ceux qui pensent que les rased sont inefficaces ?

Je ne leur réponds rien car ceux là doivent également croire au déterminisme social, au mérite, aux « internats d’excellence » et à l’ « élite de demain »…

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